Lisez attentivement cet extrait du "Traité d'Economie Politique" de J.-B. Say :
"Un entrepreneur possède communément en propre le capital, ou tout au moins une portion du capital qui sert à ses avances. Aussi les économistes anglais confondent-ils presque toujours, sous le nom de profit, le revenu que l’entrepreneur obtient de son industrie, de son talent, et celui qu’il doit à son instrument, au capital. Cette analyse imparfaite jette souvent de l’obscurité dans leurs écrits, et les empêche de présenter une fidèle image des faits".
Cette citation de Jean Baptiste Say met en relief l'un de ses apports théoriques fondamentaux : l'entrepreneur, acteur économique spécifique, dont le rôle est de mettre en oeuvre cet échange particulier que constitue la production : acheter les "services productifs" et vendre les "produits matériels" et "immatériels".
De ce point de vue, l'"entrepreneur" est un "industrieux", comme l'est également le salarié qui a accepté d'échanger l'usage de son "industrie" (le "service productif" du "fonds" - ses capacité personnelles - dont il est propriétaire) contre un "profit au forfait". L'"industrieux" entrepreneur, contrairement à l'"industrieux" salarié, met en oeuvre directement son "industrie", "fonds" constitué par ses capacités personnelles à mener à bien une entreprise.
Il peut être, également, propriétaire d'un "fonds" constitué de capitaux, de valeurs disponibles, d'un "capital" avec lequel il va pouvoir réaliser les "avances" - c'est à dire les immobilisations - nécessaires à la production et à la commercialisation.
Mais il peut acheter le "service productif" de tout ou parti de ce "fonds" à un propriétaire de "capital" qui recevra, en échange, un "profit" - intérêt ou dividende - en contrepartie de cet apport à la production.
L'"entrepreneur" n'est pas nécessairement "capitaliste" même s'il l'est le plus souvent.
Les auteurs "classiques" (au sens limitatif et précis donné dans le cours à ce qualificatif, en accord avec la grande majorité des spécialistes de l'étude comparative des théories économiques) confondent les fonctions de gestion d'un processus productif avec la propriété d'un capital. La raison en est, sans doute, le modèle de société qu'ils théorisent, stylisation de l'organisation sociale britannique de leur époque dans laquelle coexistent de façon complémentaire mais distincte :
les hommes qui produisent et vivent, avec leur famille, d'un salaire ;
les capitalistes-fermiers qui, propriétaires des outils et des équipements, font travailler, avancent le montant des salaires et des consommations intermédiaires, et exigent un profit suffisant, proportionnel au capital qu'ils ont immobilisé (avancé);
les propriétaires qui réclament un loyer (rente foncière) pour la mise à la disposition des fermiers de terres qu'ils pourraient, tout aussi bien, laisser en friche.
1. Illustrez cette affirmation en montrant :
comment sont définis les revenus du capitaliste et de l'entrepreneur dans la théorie de Say
Les capitalistes vendent le "service" de leur "capital" à l'entrepreneur. Ils reçoivent, en échange, le produit de leur vente : un revenu qui correspond au prix du "service productif" qu'ils apportent, tel qu'il a été fixé par le jeu de l'offre et de la demande sur le marché des marchandises, qu'elles soient matérielles ou immatérielles.
L'entrepreneur, s'il n'est pas en même temps propriétaire de tout ou partie du capital qu'il utilise (son instrument), tire son revenu de la seule mise en oeuvre de son "industrie" : ses capacités à imaginer, monter et mener à bien une entreprise. Il conserve la part de la valeur ajoutée qui correspond à son talent, ses innovations, ses initiatives, les risques qu'il encourt, après que les revenus correspondant à l'achat des "services productifs" aient été versés. Cette part rémunère ainsi le "service" de son "industrie"
Jean Baptiste Say développe ainsi une théorie de l'entreprise et de l'entrepreneur qui est celle que retiennent les économistes libéraux contemporains (qui considèrent le profit de l'entrepreneur comme un résidu, lorsque les coûts de production - y compris l'amortissement et l'intérêt normal du capital - ont été couverts).
Cette théorie n'a rien de "classique". Elle repose sur une représentation sociale très éloignée de celle de Smith ou de Ricardo. Comme il a été montré dans le cours, cette nouvelle compréhension de la société doit beaucoup aux débats qui ont eu lieu au cours de la révolution française et dont Say est, en quelque sorte, l'héritier intellectuel.(voir Jean Rosio,"L"économie politique transformée par la révolution française").
comment les revenus du capitaliste sont expliqués par A. Smith et D. Ricardo.
Les capitalistes sont, pour les auteurs "classiques" (au sens du cours), les gérants de leur capital. Le modèle en est, dans la représentation de la société, essentiellement agraire, adoptée par Smith et développée par Ricardo, le fermier. Cette image de la société, conforme à cette "fin de l'histoire" que prétend représenter la Grande Bretagne triomphante du XVIIIè et du début du XIXè siècle, est opposée au modèle de société "industrielle" théorisé par Say où le capitaliste est le détenteur de capital et l'entrepreneur celui qui le met en valeur.
Le profit du capital est, comme la rente, issus du "surplus" produit par le travailleur. Il n'est pas l'équivalent d'un "service productif" mais une part de valeur revenant au capitaliste en proportion du capital immobilisé.
Le taux de profit naturel correspond, pour Smith comme pour Ricardo, à la rémunération la plus basse que réclame un propriétaire de richesses pour les utiliser productivement, en tant que capital faisant travailler des travailleurs productifs, au lieu de les dissiper en dépenses de luxes et en "équipages". Ce taux de profit naturel-minimum est celui qui a tendance, par la concurrence entre capitalistes, à s'imposer dans toutes les branches productives, faisant en sorte que la rémunération du capital dépend de la quantité de capital immobilisé indépendamment de la nature ou des conditions de la production.
Si le capitaliste délègue la gestion de son capital, le gérant d'entreprise est considéré comme un salarié. Mais la notion d"entrepreneur" au sens où l'entend Say, que reprendra plus tard Schumpeter, essentiellement innovateur et parieur, n'entre pas dans la logique "classique".
2. Comment peut-on comprendre, dans l'analyse de Say, la contribution à la production des salariés et des entrepreneurs. L'origine de leur revenu est-elle de même nature ?
Les entrepreneurs comme les salariés sont des "industrieux". Ils contribuent à la production en mettant en oeuvre le fonds constitué par leurs capacités personnelles, appelé par Say "fonds industriel" ou "industrie". Le "service productif" que constitue l'usage de ce fonds peut être mis à profit directement par son propriétaire, qui devient artisan, médecin, avocat, savant ou entrepreneur.
Mais beaucoup d'industrieux ne veulent pas courir eux-mêmes le risque d'une mise en oeuvre personnelle directe de leur "industrie" et d'un profit aléatoire. Ils vendent à un entrepreneur le "service productif"
de leur "industrie". Celui-ci tire ainsi profit, à leur place, de leur fonds personnel. Le revenu qu'ils perçoivent en échange est un "profit au forfait" dont le montant dépend, comme pour tous les biens et services, du jeu de l'offre et de la demande sur le marché. Le salaire est donc identique à tous les autres revenus : il s'agit d'un revenu lié à la propriété d'un service que l'on peut désigner tout aussi bien par le terme profit ou rente. Son montant est fixé non dans le cadre d'un partage de la valeur ajoutée mais par le marché : il n'y a pas, dans le système conceptuel de Say, de théorie de la répartition distinct d'une théorie des prix des marchandises.L'origine du revenu de ces "industrieux" que sont les salariés et les entrepreneurs est donc de même nature. Il s'agit de la mise en oeuvre du fonds industriel, ou "industrie", qui leur appartient - on dirait aujourd'hui leur capital humain-, sous la forme :
soit d'une exploitation directe comme travailleur indépendant ou entrepreneur ;
soit d'une exploitation déléguée à un entrepreneur, en contrepartie d'un "profit au forfait".
Les spécificités du travail et du salaire disparaissent dans cette approche théorique. Le travail est un "service productif", le salaire est un "profit au forfait".
Le cadre théorique de la science économique "standard" contemporaine est ainsi posé. Il n'a rien de "néoclassique". Il est mis en place au moment où D. Ricardo construit les éléments fondamentaux de la "théorie classique".
3. les termes "production", "productif" ont-ils le même sens pour Quesnay, Smith, Say ?
Pour François Quesnay, et les "économistes" ou "philosophes économistes" qui se réclament de lui, seule l'agriculture (dans laquelle il faut comprendre l'extraction minière) réalise une production. Les autres activités ne font que transférer ou transformer les produits de la terre. La terre donne plus qu'elle ne reçoit : elle seule réalise "un produit net" revenu légitime de la classe des propriétaires (souverain, possesseurs des terres, décimateurs).
Selon l'"ordre providentiel et nécessaire" de la société décrite par Quesnay (voir les documents du cours) :
"la classe productive est celle qui fait renaître par la culture du territoire les richesses annuelles de la Nation, qui fait les avances des dépenses des travaux de l'agriculture, & qui paye annuellement les revenus des propriétaires des terres. On renferme dans la dépendance de cette classe tous les travaux & toutes les dépenses qui s'y font jusqu'à la vente des productions à la première main : c'est par cette vente qu'on connaît la valeur de la reproduction annuelle des richesses de la Nation."
Seuls les fermiers et les hommes qu'ils emploient sont productifs. Les deux autres classes de la société n'ajoutent rien à la "reproduction annuelle", même si la classe des propriétaire est indispensable, par ses "avances primitives" et ses dépenses, à la circulation étendue du produit et la classe "stérile" (appelée "stipendiée" par Turgot) utile à prospérité de tous.
Adam SMITH présente une conception très différente de la production. Le travail est ce qui permet de produire les richesses. Mais il limite le travail productif à celui dont le produit est une marchandise matérielle, donc un bien destiné à la vente.
Il y a une sorte de travail qui ajoute à la valeur de l'objet sur lequel il s'exerce; il y en a un autre qui n'a pas le même effet. Le premier, produisant une valeur, peut être appelé travail productif ; le dernier, travail non productif . Ainsi, le travail d'un ouvrier de manufacture ajoute, en général, à la valeur de la matière sur laquelle travaille cet ouvrier, la valeur de sa subsistance et du profit de son maître. Le travail d'un domestique, au contraire, n'ajoute à la valeur de rien. (...) Le travail de quelques-unes des classes les plus respectables de la société, de même que celui des domestiques, ne produit aucune valeur; il ne se fixe ni ne se réalise sur aucun objet ou chose qui puisse se vendre, qui subsiste après la cessation du travail et qui puisse servir à procurer par la suite une pareille quantité de travail. Le souverain, par exemple, ainsi que tous les autres magistrats civils et militaires qui servent sous lui, toute l'armée, toute la flotte, sont autant de travailleurs non productifs. Ils sont les serviteurs de l'État, et ils sont entretenus avec une partie du produit annuel de l'industrie d'autrui. Leur service, tout honorable, tout utile, tout nécessaire qu'il est, ne produit rien avec quoi on puisse ensuite se procurer une pareille quantité de services.
A. Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations", Livre 2, Chapitre III. Du travail productif et du travail non productif. - De l'accumulation du capital ( voir texte intégral du Livre 2 des R.N.C.R.N., traduction Garnier)
Le nombre de travailleurs productifs est déterminé par la part de la richesse employée sous forme de capital et donc détournée de la consommation. Les domestiques, ceux dont le travail consiste en services, ne produisent pas de valeur. Ils sont des travailleurs improductifs au service de ceux qui disposent d'un revenu (non salarial).
Les capitalistes et les propriétaires fonciers reçoivent une part de la valeur créée par le travail productif. Ils ne contribuent pas à la production. Ils ne sont pas productifs.
Dans la représentation théorique de Jean-Baptiste Say, tous ceux qui disposent d'un fonds - et tous les hommes disposent au moins de leur "industrie", c'est à dire, comme l'écrivait Roederer, de "facultés lucratives", ne serait-ce que du fait de leur force physique - contribuent à la production par le "service productif" qu'ils apportent et dont ils tirent un revenu.
La production est aussi bien matérielle qu'immatérielle : elle est une création d'utilité,
- soit en donnant forme utile à une matière, dont est obtenu un service,
- soit par la réalisation directe d'un service.
Tous les revenus ont, pour Jean-Baptiste Say le même statut : ils sont la contrepartie monétaire d'un service productif. Quel que soit le type de revenu perçu, tous les propriétaires, qu'ils soient détenteur d'un bien immobilier, capitalistes, entrepreneurs ou salariés contribuent de la même façon à la production et perçoivent l'équivalent monétaire, déterminé par le jeu de l'offre et de la demande du marché, de leur apport productif.
Terre, capital, industrie "travaillent" et leur usage - leur service productif - mérite "salaire".
Cette représentation est reprise par Léon Walras qui assimile totalement les "services producteurs" aux "revenus" dont la dimension monétaire disparaît.(voir sa préface aux "Eléments d'Economie Politique Pure")
4. La référence au "travail" est-elle la même dans la détermination de la valeur des marchandises selon la théorie développée par Smith et celle de Ricardo ?
La référence au "travail" est très différente dans les théories de la valeur développées par Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx. Aussi ne peut-on parler, sans graves confusions, de "théorie de la valeur-travail". Il s'agit là, comme cela a été développé en cours, d'une paresse de pensée qui rend les démarches théoriques en Science Economique incompréhensibles. (Il en va de même pour la pseudo-théorie élémentaire des "facteurs de production" qui embrouille de façon souvent décisive l'apprentissage des notions de base de notre discipline).
Même si la démarche théorique d'A. Smith n'est pas d'une parfaite cohérence, il apparaît que le travail, pour lui, est considéré comme une activité pénible que celui qui dispose d'une marchandise peut imposer aux autres en échange, par le "pouvoir d'acheter du travail" que lui confère sa possession.
La mesure réelle de la valeur d'échange d'une marchandise est la quantité de travail qu'elle peut permettre à son propriétaire d'acheter ou de commander.
Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les choses nécessaires, commodes ou agréables de la vie. Mais la division une fois établie dans toutes les branches du travail, il n’y a qu’une partie extrêmement petite de toutes ces choses qu’un homme puisse obtenir directement par son travail ; c’est du travail d’autrui qu’il lui faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi, il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il sera en état d’acheter.
Ainsi, la valeur d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander.
Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise.
Le prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer, c’est le travail et la peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir. Ce que chaque chose vaut réellement pour celui qui l’a acquise et qui cherche à en disposer ou à l’échanger pour quelque autre objet, c’est la peine et l’embarras que la possession de cette chose peut lui épargner et qu’elle lui permet d’imposer à d’autres personnes. Ce qu’on achète avec de l’argent ou des marchandises est acheté par du travail, aussi bien que ce que nous acquérons à la sueur de notre front. Cet argent et ces marchandises nous épargnent, dans le fait, cette fatigue. Elles contiennent la valeur d’une certaine quantité de travail, que nous échangeons pour ce qui est supposé alors contenir la valeur d’une quantité égale de travail. Le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l’achat primitif de toutes choses. Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement ; et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions, est précisément égale à la quantité de travail qu’elles les mettent en état d’acheter ou de commander. A. Smith, R.N.C.R.N. Livre 1 Chap. V (voir texte intégral du Livre 1 des R.N.C.R.N., traduction Garnier)
La valeur d'une marchandise est ainsi rapportée à la quantité de travail qu'elle permet de rétribuer et non à la quantité de travail qu'elle a nécessité pour sa production.
A. Smith montre bien la différence de ces deux approches qui peuvent être confondues dans un même "pouvoir d'acheter" détenu par le possesseur d'une marchandise et mis en oeuvre :
- directement dans la relation salariale établie avec celui qui travaille ;
- indirectement dans l'acquisition d'une marchandise en échange, produit d'une certaine quantité de travail
Ce n'est qu'aux origines de l'humanité, où chasseurs et pêcheurs échangeaient directement le produit de leurs journées de travail, que ces deux approches conduisaient au même résultat.
Dès qu'apparaissent capitalistes et propriétaires fonciers, la quantité de travail qui s'échange directement contre une marchandise (dont celle-ci est la rétribution) et la quantité de travail que nécessite une marchandise pour être produite diffèrent : une marchandise permet de rétribuer plus de travail que celui dont elle est le produit. L'écart est constitué par le profit et la rente foncière que le produit du travail doit permettre de payer en plus du salaire que reçoivent ceux qui travaillent (profit et rente sont constitués de la part de la valeur ajoutée qui dépasse ce qui est nécessaire à l'achat du travail).
Mais Smith propose de mesurer le prix réel des marchandises - comme le travail lui-même en tant que marchandise - de même que les montants du profit et de la rente, en quantités de travail salarié (travail commandé).
C'est ce même type d'unité de mesure - la journée de travail payée - que J.M. Keynes retiendra pour exprimer en valeur les agrégats macroéconomiques dans la "Théorie Générale de l'Emploi, de l'intérêt et de la monnaie". (Livre IV chap. 16).
David Ricardo critique très sévèrement, dès les premières pages des "Principes de l'Economie Politique et de l'Impôt", la théorie de la valeur proposée par Smith : elle ne permet pas de différencier les variations de la valeur des marchandises dues aux variations du salaire (c'est à dire des modifications de la valeur du travail) de celles qui résultent de changements dans la "difficulté de les produire".
Pour D. Ricardo, la valeur des marchandises dépend de la "difficulté de les acquérir" en raison de
- leur "rareté", pour les marchandises non reproductibles
- la "difficulté de les produire", de la quantité de travail nécessaires pour les produire s'agissant des marchandises reproductibles
La productivité du processus de production devient, dans cette démarche, l'élément déterminant essentiel de la valeur.
5. Quelles difficultés rencontre David Ricardo dans l'explication de la formation des prix à partir de sa théorie de la valeur ?
Pour D. Ricardo, la valeur des marchandises (reproductibles) dépend de la "difficulté de les produire". Mais la théorie de la rente foncière différentielle introduit déjà un biais important dans l'explication de la formation des prix : c'est la quantité de travail nécessaire à la production des denrées sur l'unité de surface la dernière mise en culture qui fixe le prix réel de toutes les marchandises agricoles, quelles que soient les conditions de leur production (prix de marché=coût de production (y compris profit naturel) moyen sur la terre marginale).
Mais, cette exception mise à part, il est encore une autre difficulté : l'incompatibilité, dès lors que la composition des capitaux est diverse ou que leurs cycles de valorisation différent, entre :
la "théorie de la valeur" : la valeur des marchandise est définie par la quantité de travail, directe et indirect qu'elles incorporent
la "théorie du profit" : le profit est proportionnel à la quantité de capital avancé.
Si on ne retient que des compositions diverses des capitaux selon les branches productives, on peut représenter ce problème de la façon suivante :
David Ricardo ne parvient pas à résoudre ce problème de façon satisfaisante. Il faudra attendre les travaux de Piero Sraffa, en 1960, pour qu'une solution théorique cohérente soit trouvée.(L'analyse la plus aboutie de cette démarche est celle proposée par Christian Bidard dans "Prix, reproduction et rareté", ed. Dunod, Paris 1991)
Karl Marx, en introduisant un jeu entre la valeur de la "force de travail" et la valeur que celle-ci crée, transforme profondément la "théorie de la valeur".
Il déplace la question de la compatibilité entre valeur et prix en faisant de la mesure de la valeur (le prix) le produit de la concurrence entre capitalistes, qui, en tendance, distribue la plus-value créée par l'ensemble des travailleurs entre les propriétaires-vendeurs des marchandises en proportion de la quantité de capital immobilisé (K. Marx parle, à ce propos, de "communisme capitaliste"...).
Ainsi les "valeurs" sont "transformées" par la concurrence capitaliste en "prix de production" vers lesquels tendent les "prix de marché" en situation de libre concurrence.
Ce n'est qu'entre 1970 et 1980 que la résolution formelle de la question de la "transformation", maladroitement esquissée par Marx, fait l'objet d'un consensus à peu près général, malheureusement trop peu enseigné - comme l'ensemble des approches hétérodoxes - tant la théorie simpliste et hors du temps de l'équilibre général (Walras-Pareto-Debreu) continue de s'imposer dans les formations universitaires, malgré ses échecs.
Une "révolution copernicienne" est sans doute nécessaire dans ce domaine de pensée.
SUJET II
Dans la mesure où on ne demandait pas de construire une dissertation, on pouvait se contenter d'exposer successivement les approches théoriques des différents auteurs en soulignant leurs spécificités. Brièvement :
François QUESNAY :
Le propriétaire de terres cultivées, fait partie, pour Quesnay, de la "classe des propriétaires" qui comprend, aux côtés des propriétaires fonciers particuliers, le souverain et les "décimateurs", c'est à dire l'Eglise.
Le propriétaire foncier bénéficie, naturellement, providentiellement, du "produit net" qui est ce don gratuit du sol que lui doit la classe productive. Celle-ci lui verse cette partie du produit sous forme de fermage.
Dans l'ordre social "nécessaire et providentiel", la classe des propriétaires a une fonction éminente. Héritière des premiers occupants du sol, qui recueillaient sans travail ses fruits, elle est garante de l'ordre et assure, par ses avances primitives, les aménagements nécessaires à la mise en valeur des terres.
Par ses dépenses auprès des deux autres classes, la classe des propriétaires fait circuler le "produit net" et stimule, par là, la re-production, assurant au pays la prospérité.
Les propriétaires fonciers sont les seuls à pouvoir assumer les frais de l'Etat : il s'agit d'un transfert entre bénéficiaires du "produit net". Toute taxe ou impôt prélevé sur les ressources de la classe productive ou la classe stérile diminuerait le montant des avances annuelles nécessaires pour la production. Le seul impôt économiquement neutre, "direct" est l'impôt foncier.
Cette conception de l'ordre social optimum peut être interprété de façon contradictoire, comme :
Certains auteurs, tel le suisse Herrenschwandt, interprèteront la description fonctionnelle de la circulation du produit proposée par François Quesnay de façon purement monétaire : la classe des propriétaire devient l'Etat-banquier qui prélève, chaque année, le "produit net" qu'il a lui-même injecté sous forme de monnaie de papier créée.
Adam SMITH :
La "rente foncière" que perçoivent les propriétaires de terres cultivées est l'un des trois composants du prix des marchandises. Son taux naturel est défini par ce que le propriétaire peut exiger, pour chaque terre particulière, de celui qui la met en valeur, au-delà de la rémunération du capital, du travail et des frais de culture.
"En tant que prix payé pour l'usage de la terre, la rente de la terre est donc naturellement un prix de monopole" ( R.N.C.R.N. Livre 1 Chap. XI)
Il ne s'agit donc plus d'un "don gratuit du sol" mais bien d'un revenu lié à la propriété de ressources foncières et au pouvoir de monopole qu'elle permet d'exercer.
La société pensée par A. Smith est hiérarchisée, comme l'est la Grande Bretagne du XVIIIè siècle, et les propriétaires terriens disposent d'un rang et de fonctions éminents. C'est ainsi qu'ils sont les seuls dont les intérêts et les capacités leurs permettent de s'occuper des affaires publiques.
Jean-Baptiste SAY :
Tous les revenus sont de même nature selon Say. La "rente foncière" comme le profit du capital ou le salaire, trouve son origine dans l'usage d'un fonds, de terre en l'occurrence, dont le possesseur peut tirer profit directement en le mettant en valeur lui-même ou, comme c'est le cas le plus souvent, en vendant son "service productif" à un entrepreneur qui lui versera un fermage en échange.
Il n'y a pas de "taux naturel" de la rente pour Say, c'est le marché des baux (des locations de terre) qui détermine le revenu du propriétaire.
Comme le propriétaire d'industrie ou de capital, le propriétaire foncier est un producteur rémunéré en fonction de sa participation à la production, mesurée par le marché.
La vision très "propriétariste", égalitaire en termes de droits, de Jean-Baptiste Say est l'héritière des conceptions "girondines" développées pendant la révolution française. Tous les citoyens participent, de la même façon, à la production commune. Le "saint-simonisme" et, pour l'essentiel, le "proudhonisme" donneront une version radicale, plus égalitaire, de cette conception de la société en rupture avec l'ordre social théorisé par Smith. Léon Walras, qui pensait construire une oeuvre "socialiste", défendra l'essentiel de l'approche de Say.
David RICARDO :
L'objet principal de D. Ricardo est de présenter une théorie rigoureuse des revenus. Tout en reprenant, en les systématisants, les idées de Smith concernant le salaire naturel et le profit naturel, il refuse de considérer la rente foncière comme un composant du prix des marchandises et il la définit de façon très précise dans ses "Principes de l"Economie Politique et de l'Impôt" : "La rente est cette portion du produit de la terre que l‘on paie au propriétaire pour avoir le droit d‘exploiter les facultés productives et impérissables du sol. Cependant on confond souvent la rente avec l’intérêt et le profit du capital, et dans le langage vulgaire on donne le nom de rente à tout ce que le fermier paie annuellement au propriétaire. Supposons deux fermes contiguës, ayant une même étendue, et un sol d'une égale fertilité, mais dont l’une, pourvue de tous les bâtiments et instruments utiles à l’agriculture, est de plus bien entretenue, bien fumée, et convenablement entourée de haies, de clôtures et de murs, tandis que tout cela manque à l’autre. Il est clair que l’une s’affermera plus cher que l’autre ; mais dans les deux cas on appellera rente la rémunération payée au propriétaire. Il est cependant évident qu’une portion seulement de l'argent serait payée pour exploiter les propriétés naturelles et indestructibles du sol, le reste représenterait l’intérêt du capital consacré à amender le terrain et à ériger les constructions nécessaires pour assurer et conserver le produit." (Livre1 Chap. II)
A partir de cette définition limitative et rigoureuse, il construit une théorie de la rente dont le principe a été repris, sans doute, à James Anderson (1739-1808) : "An Inquiry into the Nature of the Corn Laws" 1777. David Ricardo avait déjà développé l'essentiel de ses conceptions d'ensemble dans son "Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits du capital" de 1815 dans lequel il discutait les thèses exposées par Malthus sur cette question dans deux essais.
Le résumé du § du cours consacré à la théorie de la rente différentielle peut suffire :
D. Ricardo suppose que :
-
les terres mises en culture les premières, historiquement, sont les plus
fertiles. A mesure que la population croît, des terres de moins en moins
fertiles doivent être mis en culture. - le prix unique auquel se vend la production agricole - le blé - est déterminé par le coût de production moyen sur la dernière terre mise en culture (marginale). Le taux de profit étant le même sur toutes les terres en culture, tous les propriétaires de terre, sauf le propriétaire de la surface mise en culture la dernière, prélèvent une rente égale, par unité produite, à la différence entre le prix de marché et le coût moyen de production. La suppression des "Lois sur les blés" permettrait de faire baisser le prix du blé, donc du travail. Il ferait baisser la part du produit total constitué par la rente foncière. Le capital investi pourrait augmenter et la production totale atteindre un niveau plus élevé. .
Citons D. Ricardo, exposant la portée générale de sa théorie :
Le propriétaire foncier, sans participer en rien à la production, tire bénéfice de la "difficulté de produire". Il est tentant, pour les critiques de l'ordre social existant, de prôner son expropriation. J.-St. Mill proposera le remplacement des prélèvements fiscaux par la rente foncière. Allant dans le même sens, Auguste et Léon Walras préconiseront l'acquisition par l'Etat de ce "monopole naturel" par excellence que constituent les terres.
Thomas MALTHUS :
Après en avoir débattu avec D. Ricardo et J.-B. Say, Malthus synthétise ses idées dans "Principes d'Economie Politique" paru en 1720. Il s'agit essentiellement d'une réhabilitation du rôle social et économique des propriétaires fonciers, mis à mal par Ricardo. A partir d'une réévaluation de la théorie de la valeur, qui reprend l'essentiel de celle développée par Smith, Malthus s'efforce de démontrer que le propriétaire foncier bénéficie d'un revenu qui dépend de son apport particulier, indispensable, à la production agricole. Le fermage est une composante du prix des produits. Refusant les limitations introduites par Ricardo, il lie la rente foncière à la part que prend le propriétaire à l'aménagement des terres agricole.
Mais surtout, et sur ce point il réintroduit dans la théorie économique de son temps une préoccupation qui semblait avoir disparue, il met en cause la "Loi de Say", l'équilibre spontané, au niveau d'activité de plein emploi, d'une économie de marché libre. C'est une conséquence de sa volonté de montrer que la "demande effective" nécessaire à l'écoulement de la production a besoin des dépenses des propriétaires et de ceux qui sont à leur service, les "improductifs". Non seulement les propriétaires fonciers jouent un rôle propre essentiel dans la production, mais ils sont les moteurs indispensables de l'activité économique par leurs dépenses que ne sauraient assurer les salariés réduits à la subsistance et les capitalistes attachés essentiellement à augmenter le montant de leurs avances.
La critique approfondie de la "loi des débouchés" construite par Malthus, soulignant la dimension monétaire essentielle du rapport entre la demande et l'offre, a sans doute influencé Keynes qui avait effectué, juste avant d'entreprendre la rédaction de la "Théorie Générale de l'Emploi, de l'Intérêt et de la Monnaie" (1936), une relecture de l'oeuvre de Malthus pour la revue qu'il dirigait.
On pouvait s'en tenir là.
Pour mériter une note de 20 on pouvait se contenter d'un texte beaucoup moins fourni que celui qui est proposé ci-dessus, qui est pourtant loin d'être exhaustif mais reprend l'essentiel de ce qui a été effectivement dit en cours.
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